Malgré les morts, j'aurais voulu une fin heureuse - Annulé
Une réecriture de Cymbeline de Shakespeare
"Qu'est-ce qui fait que les êtres humains sont ce qu'ils sont, abîment ceux qu'ils abîment comme ils les abîment ? La malveillance, elle vient d'où ? Quelle part réelle prend-elle dans le jeu de rôle des hommes entre eux ?"
Malgré les morts, j’aurais voulu une fin heureuse s'emploie à questionner la violence sous toutes ses formes, avec naïveté et intransigeance, dans un monde sur le point de s'effondrer et de se réinventer. Le spectacle s’envisage comme un petit laboratoire du monde, où l'on pourrait d’un coup donner à voir, à lire, des évitements, des ratages, et des collisions, et dire ce qu’on ne dit pas d’habitude, en refusant la complaisance.
Tout commence dans une monarchie au bord de la guerre civile gouvernée par un roi démissionnaire et colérique. Les informations y circulent aussi vite que dans notre réel à nous. Le politique et l’intime se marchent plus que jamais l'un sur l' autre. Au coeur de tout ça, une somme de solitudes, de ratés, de regrets. L’histoire de personnages qui « font mal », et se font du mal, par peur, par négligence, par aigreur ou par rancoeur.
Des personnages puissants et normaux, isolés, névrosés et obsessionnels, en perte de repère dans un monde en déclin et, qu’ils regardent le réel de front, partiellement, ou le nient carrément, essaient chacun à leur manière de vivre avec ce qui reste d’eux-mêmes. Un monde très semblable
au nôtre.
Au coeur de l’histoire de ce spectacle, il y a deux choses : le répertoire des contes de fée, au sens large, et cette autre pièce, Cymbeline, de Shakespeare. Cette dernière est une oeuvre étrange, fondée sur des mensonges, des tensions humaines et politiques, qui, alors même qu’elle aborde en même temps nombre de thématiques universelles (la guerre, l’amour, la famille, la mort), refuse de s’embarrasser de leur complexité.
Comme dans les paraboles de Perrault ou de Grimm, les personnages qui la peuplent sont des stéréotypes. J’ai grandi, comme beaucoup, avec ces histoires peuplées de figures archétypales. Des contes de fée avec un roi veuf, une marâtre, une gentille princesse, un prince bon, et des rivaux et opposants retors et malveillants. Des situations d’une violence hallucinante, pour peu qu’on les regarde pour ce qu’elles sont, présentées avec un manichéisme achevé. Pourtant, derrière l' infamie, le meurtre, la trahison, la barbarie, il y a toujours « quelqu'un » : l’inhumanité d’un acte aura toujours, à son origine, d’une manière ou d’une autre, un être humain.
C’est en réponse à cela que j’ai voulu amener au plateau un conte contemporain et dystopique qui se déploie en complexifiant les figures qui l’habitent. Dans Malgré les morts, je cherche à poser des questions intimes et humanistes, parce qu'elles tournent autour d'une famille dont les membres ne parviennent plus à se comprendre ; la clé de voûte n'est pas tant la trame de Cymbeline que les histoires minuscules des solitudes qui s' y croisent. Soit des personnages aux prises avec des situations de notre temps, intimes ou politiques, de toutes façons trop grandes pour eux, mis à nu devant le public, qui jouent toujours et qui ne jouent jamais. La pièce est un enchevêtrement de situations figées, où la parole devient un problème central : chacun s’essaie à influencer le réel avec ses mots, de parler plus fort que son voisin pour que sa version des faits prennent le pas. Mais la pièce aborde aussi indéniablement la question de la révolution, des tentatives de changement. La société en cours
d'effondrement dans laquelle elle se déploie n'est pas seulement un cadre, elle en en est surtout un enjeu.
On ouvre des fenêtres pour regarder des gens qui se débattent avec eux-mêmes, parce qu’aucun d'eux n'est net. On parle de quand personne ne s'écoute plus, ne se voit plus, ne s'entend plus. On parle de comment marche le monde dont les rouages sont des hommes faillibles, fragiles, louables et détestables, et comment ceux-ci oeuvrent de même dans un contexte révolutionnaire. On confronte au plateau des pulsions de vie et des pulsions de mort, pour aller chercher ce qui chez nous spectateurs, acteurs, personnages, endort la vigilance, et ce qui peut-être, pourquoi pas, pourrait la réveiller.
Angèle Peyrade, metteuse en scène et écrivaine
Écriture et mise en scène Angèle Peyrade
Création vidéo Clément Sal zedo
Dramaturgie Julien Allavenna
Scénographie Cerise Guyon
Costumes Gwladys Duthil
Avec Charlotte Berthement, Thomas Couppey, Jeanne Didier, Loulou Hanssen, Yoanna Marilleaud, Yannick Morzelle, Laure Prioul , Simon Rembado, et Eliakim Sénégas
Une production du Sens Opposé (en co-production avec La Mue)